Syndrome génito-urinaire de la ménopause après cancer du sein - L’hormonothérapie est-elle (quand même) possible ?
Daniel ROTTEN, Paris
Comment traiter le syndrome génito-urinaire de la ménopause (SGUM) chez les patientes qui ont eu un cancer du sein lorsque celles-ci sont affectées de symptômes invalidants et rebelles aux thérapeutiques non hormonales ? L’usage des traitements hormonaux est de principe banni chez les patientes ayant eu un cancer hormono-dépendant de crainte qu’ils aient un effet promoteur sur d’éventuelles métastases occultes. Comment dès lors interpréter la déclaration à laquelle se réfèrent généralement les recommandaions : « chez les patientes ayant un antécédent de cancer du sein estrogéno-dépendant, l’uilisation des traitements hormonaux sera exceptionnellement envisagée, toujours après discussion entre le gynécologue, l’oncologue et la patiente elle-même ». Quels sont donc les éléments de cette discussion ? Cela signifie-t-il que la prescription est sans danger en cas de cancer dont les récepteurs hormonaux sont négatifs ?
Les symptômes en cause peuvent être en rapport avec une ménopause soit naturelle soit chimio-induite. Ils peuvent être dus ou aggravés par un traitement ani-estrogénique, qu’il s’agisse de SERM ou d’inhibiteurs de l’aromatase. La prévalence élevée des cancers du sein dans la population, le rajeunissement de l’âge de découverte, la survie importante que permet la mise en œuvre de traitements aboutissant à une déprivation estrogénique rendent le problème conséquent. Or la santé sexuelle, élément essentiel de la qualité de vie des patientes, est souvent négligée chez les femmes ayant eu un cancer du sein, sous l’effet conjugué du peu d’atention des soignants et de patientes souvent hésitantes à évoquer le sujet. Outre le retentissement sur la qualité de vie, arrêts prématurés de traitement ou mauvaise compliance sont observés chez les patientes sous ani-estrogènes. La Briitsh Menopause Society vient de faire deux mises au point sur le sujet (1,2). La parution récente de plusieurs aricles sur le sujet souligne en outre l’actualité du problème (3-9). Traitements non hormonaux Toutes les recommandations de sociétés professionnelles concordent pour insister sur le fait qu'en cas de cancer du sein, la prise en charge des symptômes du SGUM doit débuter par des traitements non hormonaux et des mesures d’ordre général. À ce itre, conseils psycho-sexuels et amélioration de l’image corporelle font partie intégrante de la prise en charge. L’exercice d’une acivité sexuelle régulière, quel qu’en soit le mode, est également essentiel, car il participe au maintien de la trophicité vaginale (tableau 1). Les traitements locaux usuels permettent de diminuer les symptômes liés à l’atrophie vulvo-vaginale. Ils sont destinés à diminuer la friction durant l’activité sexuelle, donc l’inconfort et la douleur. Cependant, ils ne corrigent pas l’atrophie et leur effet n’est pas durable. Les lubrifiants vaginaux sont destinés à une utilisation immédiate lors des rapports, les hydratants sont d’utilisation sur le moyen terme. Ils entrainent une meilleure hydratation — au moins temporaire — des issus vaginaux. Les gels lubrifiants à base d’eau, dits de troisième généraion, présentent une double acion hydratante et lubrifiante. Ils contiennent de l’acide hyaluronique (Monasens ®, Mucogyne ®, Saugella ®) ou de l’aloe vera (Monolub ®), et sont réputés sécher moins rapidement au cours des rapports. La lidocaïne, anesthésique local, s’emploie en association avec les lubrifiants vaginaux. L’application topique quelques minutes avant le début des rapports permet d’insensibiliser la zone des lèvres. L’acide hyaluronique a une action trophique sur l’épithélium vaginal. Il peut s’utiliser en ovules à insérer 2 ou 3 fois par semaine dans le vagin. Lorsque les symptômes sont installés, l’acide hyaluronique peut être utilisé en injections intramuqueuses. La technique semble efficace, mais on dispose de peu d’études d’innocuité et d’efficacité à long terme. Le traitement par laser a été proposé plus récemment. Il s’agit de laser fractionné avec micro-abrasion (laser CO2), ou sans micro-abrasion (laser erbium-YAG). On recherche une action trophique sur l’épithélium vaginal. À la suite de la lésion thermique, il se produit une augmentation du flux sanguin vers les issus vaginaux, suivie d’une régénération de la muqueuse vaginale. Ce remodelage du issu conjonctif produit une néo-synthèse de collagène. L’efficacité du traitement par laser a été démontrée à court terme. Quelques cas de complications sévères ont été décrits, qu’il s’agisse d’une aggravation des symptômes, de fibrose ou de sténose cicatricielle. On attend du laser erbium-YAG, non abrasif, un taux de complications moindre, actuellement non démontré. Dans les deux cas, l’inocuité sur le long terme demande à être confirmée Hormonothérapie vaginale Estrogènes Les estrogènes administrés par voie locale sont extrêment efficaces pour traiter l’atrophie vulvovaginale et les symptômes qu’elle entraîne. Ils permettent une meilleure lubrification, diminuent le pH vaginal et favorisent la restauration d’une flore normale. Dans le cadre du traitement homonal de la ménopause (THM), ils sont même réputés d’efficacité supérieure aux traitements administrés par voie systémique pour traiter le SGUM. Outre leur effet posiif sur l’atrophie vaginale, les estrogènes locaux s’accompagnent d’une diminution des sensations d’urgence urinaire et du nombre d’infections urinaires. Le passage hormonal systémique est minime. Lors de l’utilisation d’un anneau vaginal d’estradiol, on observe un pic sérique à 60 pg/ml 2 heures après l’insertion. Le taux baisse ensuite rapidement, pour rejoindre un taux sérique d’environ 12 pg/ml, c’est-à-dire dans la zone ménopausique ( 20 pg/ml). Du point de vue épidémiologique, plusieurs études ont montré que l’utilisation d’estrogènes à titre de traitement homonal de la ménopause par voie vaginale ne s’accompagne pas d’augmentation du risque de cancer du sein (voir par exemple la métaanalyse du Collaboraive Group on Hormonal Factors in Breast Cancer (9)). On n’observe pas non plus d’effet sur l’endomètre. La co-prescripion d’un progestatif n’est donc pas nécessaire. Quelques études ont analysé l’effet de l’utilisation d’estradiol vaginal chez des femmes ayant eu un cancer du sein. Elles n’ont pas montré d’augmentation du risque de récidive, mais les effectifs de patientes concernées sont modestes. Dès lors, peut-on envisager d’en proposer l’utilisation chez des femmes ayant eu un cancer du sein ? Les préconisations restent toujours très prudentes. Il y a convergence de points de vue pour dire que plusieurs conditions doivent être réunies. Il faut avoir épuisé la panoplie des alternatives non hormonales. Le handicap sur la qualité de vie créé par la sévérité des symptômes doit justifier ce recours. Enfin, il faut sélectionner des patientes à risque faible ou modéré de récidive tumorale. Les principaux paramètres de risque uilisés pour cette évaluaion sont rappelés dan le tableau 2. Le tableau 3 présente les spécialités d’estrogènes administrables par voie locale disponibles en France. Une seule délivre de l’estradiol. Il s’agit de l’Estring ®, un anneau destiné à délivrer l’hormone pendant 3 mois. Il n’est pas d’utilisation aisée dans une situation où, plus encore que dans le cas général, on cherche à moduler la thérapeutique, en administrant la dose minimale efficace et pendant la seule durée nécéssaire. L’estriol est peu utilisé dans le monde anglo-saxon. Il a donc fait l’objet d’un plus petit nombre d’études. Il y a également peu d’études concernant le promestriène, un estrogène hémisynthétique. Pour ce dernier, le passage systémique a été démontré minime. La crème vaginale d’estrogènes conjugués équins, très utilisée aux USA, n’est pas commercialisée en France. La prescription d’estrogènes par voie vaginale chez des patientes encore sous ani-estrogènes soulève des quesions spécifiques. La plus grande prudence est de mise avec les inhibiteurs d’aromatase, qui agissent par inhibition de l’aromatisation en estrogènes : les estrogènes exogènes court-circuitent donc leur mécanisme d’action. L’utilisation chez des patientes sous tamoxifène pose moins de problèmes théoriques, car le tamoxifène agit par inhibition compéitive au niveau du récepteur de l’estradiol. Il bloquera aussi l’effet des estrogènes exogènes. À noter, la recommandaion de limiter à une durée de 4 semaines l’utilisation des crèmes vaginales d’estradiol récemment émise par le Pharmacovigilance Risk Assessment Committee dépendant de l’ European Medecines Agency (EMA-PRAC) dans le cadre du THM concerne uniquement les préparations de posologie dite « élevée » (100 μg/g), non commercialisées en France. Elle ne s’applique pas aux posologies dites « faibles », comme Estring ® (dose délivée de 7,5 μg/jour). Autres hormones La DHEA s’utilise sous forme d’ovules (prastérone, Intrarosa ®, 6,5 mg/ovule). La DHEA est un précurseur inactif qui se transforme à l’intérieur des cellules cibles en androgènes puis, après aromatisation, en estradiol. Son utilisation entraîne une amélioration des symptomes génitaux et urinaires, et s’accompagne d’un effet trophique local. Dans la littérature, le nombre de patientes traitées est faible, et le recul chez les patientes ayant eu un cancer du sein est extrêmement limité. La testostérone administrée par voie vaginale a également été proposée dans le traitement du SGUM. En effet, par aromatisation, la testostérone est transformée en estrogènes. De fait, on observe une amélioration des symptômes. Mais dans certaines études, l’administration vaginale de testostérone s’est accompagnée d’un taux d’estradiol sérique élevé, ce qui contre-indique son emploi chez les patientes ayant eu un cancer du sein. Hormonothérapie systémique Lorsque les symptômes génitaux et urinaires sont résistants à toutes les autres opions thérapeutiques et sont associés à des symptômes vasomoteurs bruyants, la question d’une prescription hormonale systémique est posée. Les données disponibles sont contradictoires. Les études obervationnelles ne montrent en général pas d’augmentation de risque, ou même une diminution. Mais dans ce type d’études, il est très difficile de contrôler d’éventuels biais. Deux essais randomisés contrôlés d’administraion de THM à des femmes ayant eu un cancer du sein avaient été lancés en Suède en 1997 (essai HABITS et essai Stockholm). Une évaluation statistique intermédiaire a montré un excès de récidives tumorales et de nouveaux cancers primitifs dans le bras traité. À la demande du comité de suivi commun aux deux études, les inclusions ont en conséquence été interrompues avant la fin des inclusions prévues. Or, les deux études montrent des résutats divergents. Il y a dans l’étude HABITS un risque augmenté (recul de 4 ans), alors que le risque est identique entre sujets traités et contrôles dans l’essai Stockholm (recul 11 ans). On peut noter que, dans l’essai HABITS, l’analyse des sous-groupes ne montrait
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