Maxime RONOT*,**, Alice KEDRA***, Lambros TSELIKAS****,*****,******
Les néoplasies hépatiques, primitives et secondaires, ont une incidence en constante augmentation. La résection chirurgicale est l’un des principaux traitements à intention curative. La complication la plus redoutée est l’insuffisance hépatocellulaire, à l’origine d’une importante morbi-mortalité postopératoire(1). Le principal facteur de risque de l’insuffisance hépatocellulaire posthépatectomie est la présence d’un volume du futur foie restant (FFR) trop faible, ne pouvant pas assurer une fonction suffisante(2).
L’embolisation portale, décrite pour la première fois en 1984 par l’équipe de Maakuchi, est une technique de radiologie interventionnelle dont le but est de prévenir la survenue de l’insuffisance hépatocellulaire posthépatectomie(3). Le rationnel de l’embolisation portale est d’occlure les branches portales de la portion de foie qui va être réséquée afin d’entraîner une redistribution du flux porte exclusivement vers le futur foie restant (FFR). Il en résulte une atrophie du parenchyme embolisé et une augmentation du volume et de la fonction du FFR.
L'objectif de cet article est de discuter de l'embolisation portale, de sa justification, des considérations techniques principales, des preuves disponibles et des complications. Les controverses et questions ouvertes actuelles seront également abordées.
Rationnel et indications La défaillance hépatique postopératoire est une complication grave survenant après une hépatectomie majeure. Elle est associée à une morbidité et une mortalité élevées. L’embolisation préopératoire de la veine porte peut être proposée en tant que procédure de modulation du volume chez les patients présentant un futur foie restant insuffisant, à la fois pour augmenter le nombre de candidats à la résection chirurgicale et pour prévenir les complications postopératoires des patients réséqués. L’occlusion des branches portales de la portion de foie qui va être réséquée entraîne une redistribution du flux porte exclusivement vers le FFR. Il en résulte une atrophie du parenchyme embolisé en raison de l’apoptose des hépatocytes et d’une dilatation sinusoïdale. A contrario, les cellules du FFR entrent dans une intense activité mitotique quelques jours après l’embolisation portale, maximale à la 2 e ou 3 e semaine postembolisation, à l’origine d’une augmentation du volume et de la fonction du FFR (4). Les mécanismes cellulaires et biomoléculaires de la régénération hépatique ont été étudiés essentiellement sur modèles murins ou in vivo après hépatectomie élargie. De nombreuses voies moléculaires sont impliquées, comme le facteur de nécrose tumorale (TNFα), l’interleukine (IL-6) produite par les cellules de Kupffer, le facteur de croissance hépatocytaire (HGF) produit par les cellules stellaires, le facteur de croissance endothélial vasculaire (VEGF) et le facteur de croissance dérivé des plaquettes (PDGF). Il semblerait cependant que les mécanismes de régénération suite à une embolisation portale soient différents de ceux observés après une hépatectomie : les taux de TNFα et IL-6 retrouvés après embolisation portale sont inférieurs, avec une sécrétion retardée (5). D’autres protéines, comme la heat shock protein 70 (HSp70) impliquée dans les mécanismes de réparation cellulaire, seraient sécrétées de façon plus importante par le parenchyme hépatique non embolisé, suggérant l’existence de mécanismes pro-inflammatoires à l’origine d’une croissance du foie restant (6). Cependant, l’origine des mécanismes de régénération hépatique est imparfaitement comprise, puisqu’on ne sait pas s’ils sont induits par le stress vasculaire lié à la redistribution portale brutale ou par l’inflammation périportale dans le foie embolisé. L’indication clinique principale de l’embolisation portale est l’hépatectomie majeure chez les patients atteints de lésions malignes du foie et ayant un FFR insuffisant (figure). L’embolisation portale est généralement indiquée lorsque le FFR est ≤ 20-25 % dans un foie sain, ≤ 30-35 % chez les patients atteints de maladies hépatiques chroniques mais sans cirrhose (stéatose hépatique non alcoolique, stéatohépatite ou lésions associées à la chimiothérapie, cholangite) ou une fonction hépatique réduite, et ≤ 40 % en cas de cirrhose (6). Figure 1. Homme de 66 ans atteint d'une cirrhose secondaire à une hépatopathie dysmétabolique compliquée d'un carcinome hépatocellulaire. A : le scanner préopératoire montre un carcinome hépatocellulaire de 6 cm. Le volume du futur foie restant était estimé à 27 %. B : l'angiographie montre une portographie droite après abord ipsilatérale de la veine porte. L'embolisation a été réalisée avec un mélange de N-butyle cyanoacrylate et de lipiodol. Une petite branche antérieure a été embolisée par coïls pour éviter la migration du matériel d'embolisation (C). L’imagerie pas CBCT après embolisation montre le matériel d’embolisation dans la veine porte droite. D : le scanner réalisé 6 semaines après l'embolisation montre une hypertrophie relative du foie gauche. Le volume du futur foie restant est passé à 41 %. Le patient a pu avoir une hépatectomie droite, les suites ont été simples. Considérations techniques La technique de cette intervention a été largement décrite dans des études antérieures (7,8). Dans l’ensemble, le taux de succès technique rapporté se situe entre 80 et 100 % (9). En bref, l’embolisation portale peut être réalisée par une approche transhépatique ou ipsilatérale, via le foie futur réséqué (8). Des approches veineuses trans-spléniques, voire transiléocolique ont été décrites. Le choix de l’approche dépend de l’anatomie des patients et de la préférence du radiologue, ainsi que des risques potentiels de lésion du FFR en cas d’approche controlatérale. De nombreux agents emboliques peuvent être utilisés. Leur effet sur l’hypertrophie du FFR est discuté ci-dessous. Bien qu’un drainage biliaire puisse être nécessaire chez les patients atteints d’ictère obstructif et de tumeurs hépatobiliaires nécessitant une embolisation portale préopératoire, il n’existe pas de recommandations claires dans la littérature en faveur d’un drainage biliaire préopératoire systématique chez ces patients. Une étude a montré que le l’hypertrophie était significativement plus élevée lorsqu’un drainage sélectif du FFR était effectué, comparé à un drainage du foie entier (10). Une récente métaanalyse a montré que le drainage du FFR est toutefois désormais devenu une pratique acceptée (11) car l’ictère obstructif diminue l’hypertrophie compensatrice du foie. Néanmoins, chez les patients chez qui un drainage du FFR est réalisé mais chez qui un ictère ou une cholangite persiste, il n’a pas été démontré qu’un drainage supplémentaire du foie futur réséqué améliorait la croissance du FFR après embolisation portale (12). Résultats et preuves disponibles L’embolisation portale peut induire une hypertrophie du FFR de l’ordre de 35 à 50 %, sans différence significative des taux d’hypertrophie, de morbidité ou de mortalité par rapport à une ligature de la veine porte (13). Toutefois, l’embolisation portale est le traitement de choix chez les patients qui ne nécessitent pas une hépatectomie en deux temps. Le taux d’hypertrophie du FFR est plus faible que celui observé lors des procédures de partition hépatique associée à une ligature de la veine porte avant une hépatectomie en deux temps (ALPPS) (+ 48-90 % entre les étapes 1 et 2) (14-16). Dans ce dernier cas, la transsection parenchymateuse et la ligature de la veine hépatique induisent une hypertrophie plus marquée du FFR (14-16). L’ALPPS est également associée à un taux plus élevé de réalisation de la deuxième étape d’hépatectomie par rapport à une hépatectomie en deux temps classique avec embolisation portale ou ligature veineuse. Cependant, l’ALPPS est clairement associée à une morbidité et une mortalité périprocédurales significativement plus élevées (17). Par conséquent, l’ALPPS ne devrait être envisagée que comme une option alternative lors du premier temps chirurgical chez des patients nécessitant une hépatectomie en deux temps classique avec résection associée de lésions dans le FFR, ou encore chez des patients nécessitant une hépatectomie en un temps mais ayant une hypertrophie insuffisante du FFR après embolisation portale. Les interventions de déprivation veineuses hépatiques discutées plus bas rendent toutefois le recours théorique à l’ALPPS plus anecdotique. La résection chirurgicale à visée curative est réalisée chez 67 à 90 % des patients après une embolisation portale préopératoire (18-21). Ceci est un point important car les patients qui ont une embolisation portale préopératoire, suivie d’une hépatectomie étendue ont un meilleur pronostic que ceux qui ne sont pas réséqués (21). Les causes de non-résection sont principalement dues à la progression tumorale et moins souvent à une hypertrophie insuffisante du FFR. L’embolisation portale peut être associée à des traitements intra-artériels (comme la chimioembolisation transartérielle hépatique) pour obtenir un meilleur contrôle préopératoire de la maladie et réduire le risque de progression tumorale. Bien que l’occlusion concomitante du flux artériel et du flux portal puisse augmenter la morbidité des patients, plusieurs études rétrospectives ont suggéré que la réalisation d’un chimioembolisation et d’une embolisation portale de manière séquentielle entraînait un taux plus élevé de nécrose tumorale, une hypertrophie accrue du FFR et une survie sans récidive plus longue chez les patients atteints d’un carcinome hépato cellulaire par rapport à une embolisation portale seule (19,22-24). Dans une étude récente, la radioembolisation à l’yttrium-90 (selon une approche de lobectomie radique) a été proposée comme une alternative à l’embolisation portale chez les patients atteints d’un carcinome hépatocellulaire, entraînant une meilleure hypertrophie et un meilleur contrôle tumoral (25), mais sans augmentation du taux de résection. De plus, une série de cas contrôles a montré que la radioembolisation induisait une hypertrophie du FFR plus faible par rapport à l’embolisation portale chez les patients atteints de métastases colorectales (26). Complications Des complications graves liées à l’intervention ont été rapportées chez 3 à 16 % des patients après une embolisation portale (11,18,27,28). Une thrombose de la veine porte proximale ou controlatérale à l’embolisation, et la migration du matériel d’embolisation dans les branches portes du FFR sont les complications les plus graves, et peuvent compromettre l’hypertrophie du FFR et la chirurgie secondaire (28). D’autres complications mineures comprennent des abcès (surtout en présence de conduits biliaires intrahépatiques dilatés), des bilomes, des hématomes et, beaucoup plus rarement, une insuffisance hépatique (28). Controverses Agents d’embolisation Il n’existe pas de consensus quant au meilleur agent d’embolisation pour l’hypertrophie du FFR. Plusieurs agents d’embolisation ont été utilisés, notamment le N-butyle cyanoacrylate (NBCA), des microparticules, de la gélatine résorbable (sous différentes formes), les coïls, l’éthanol, les plugs en nitinol, ou une combinaison de ces matériaux. Dans la pratique clinique, le choix de l’agent d’embolisation est principalement basé sur l’expérience des opérateurs, la disponibilité et le
Attention, pour des raisons réglementaires ce site est réservé aux professionnels de santé.